TEMOIGNAGE DE MATHILDE (juillet 2017)
La fin des cours était pour moi signe de plaisir : je savais qu’après une journée j’allais pouvoir engloutir plein de sucreries ou de chocolat. Mais la honte s’installait progressivement. Je vidais les placards et je n’osais pas dire la vérité à ma mère lorsqu’elle me demandait où étaient les paquets de gâteaux. A plusieurs reprises, j’ai accusé mon petit frère et même mon chien !
A l’adolescence, la maladie devenait de plus en plus présente. Les crises s’accentuaient et je volais encore plus dans les placards et ce même la nuit. Il m’arrivait de prendre la boîte de cacao en poudre avec moi dans mon lit pour le manger tranquillement sous la couette à la cuillère.
Mon corps changeait, il grossissait et je ne supportait plus l’image de moi que me renvoyait le miroir. J’étais une ado coquette qui aimait qu’on la regarde et qui rêvait d’avoir la volonté de devenir anorexique. Un jour une amie me dit qu’il existait une solution à mes problèmes : SE FAIRE VOMIR !
J’ai essayé et ça a marché du 1er coup. Je me suis sentie de suite plus légère physiquement, si fière d’y être arrivée. Le sentiment de culpabilité d’avoir trop mangé s’est envolé aussi.
Mais un jour mon petit frère a découvert ma technique et alerté mes parents. Ma mère va alors m’envoyer voir mon médecin de famille, qui va ensuite me rediriger vers un psychiatre. A 16 ans, je suis donc suivie et « shootée » aux antidépresseurs. Le médecin qui me suit me disait qu’il fallait que je fasse des choses que j’aimais, que je me détende car je suis angoissée et très sensible. Mais, malgré une famille aimante, des activités sportives passionnantes il m’était impossible d’éviter les crises. J’avais le sentiment que personne ne me comprenait. Je me sentais si seule au fond de moi. Même entourée j’avais constamment besoin de combler un vide en moi par de la nourriture.
En parallèle de mon suivi médical, ma mère m’encourageait à faire des régimes avec elle, mais j’étais incapable de le suivre plus de 2 jours. Elle m’accompagnait également chez une diététicienne. Là aussi j’étais incapable de tenir face aux restrictions imposées. Je développais de la frustration et de la jalousie envers ma mère qui arrivait à perdre du poids alors qu’elle était déjà toute fine. Je me questionnais aussi de longues heures sur les origines de mes crises de boulimie, je fouillais dans mon histoire avec mon psy mais cela ne semblait pas résoudre mon problème.
J’avais le sentiment d’être une droguée de la bouffe, je ressentais comme une pulsion incontrôlable en moi.
Du jour au lendemain je décidais d’arrêter les antidépresseurs, mes parents ne me poseront aucune question à ce sujet. Je continuais donc de vivre avec mes crises, elles faisaient partie de mon quotidien et ça devenait normal de vomir l’excès de nourriture en moi. Parfois j’arrivais à vomir et d’autres fois j’étais tellement épuisée et lourde après tout ce que j’avais englouti que j’étais incapable de me faire vomir. Je compensais donc avec du sport en excès le lendemain. Ma vie jusqu’à mes 27 ans se résumait à des périodes de restrictions et des périodes de boulimie. Mon ancien petit ami scrutait tout ce que je mangeais pour que je ne grossisse pas et que je devienne : « la fille parfaite ». En effet, il me disait que j’étais super mais que je serais encore mieux sans mes quelques kilos en trop.
Je décidais donc de reprendre le chemin des régimes, je les ai tous testés. Ils ont plus ou moins fonctionnés, mais aussitôt les kilos perdus je replongeais dans la boulimie. Avant de rentrer chez moi, je mangeais secrètement dans ma voiture, pour pouvoir cacher à mon ancien petit ami tous mes écarts alimentaires. Lorsque je vidais les placards, je courais racheter les mêmes produits que j’avais dévorés peu de temps avant pour qu’il ne s’en rende pas compte. J’avais le sentiment d’être une droguée de la bouffe, je ressentais comme une pulsion incontrôlable en moi. J’étais incapable de me retenir de manger. J’avais le sentiment que nous étions 2 dans ma tête. Une partie de moi me disait que c’était mal, que j’allais le regretter et l’autre voix me disait « vas-y si c’est juste pour une bouchée » mais la bouchée se transformait toujours en orgie et la tête dans la cuvette. C’était plus fort que moi, je ne pouvais pas contrôler mon envie de manger sauvagement et soudainement. Elle devait être assouvie au plus vite.
Après mes études j’ai décidé de partir en Angleterre. Ainsi, je pensais que loin de chez mes parents et de mon ancien petit ami, la maladie disparaitrait. Erreur, les crises de boulimie n’ont fait qu’amplifier. J’étais en colocation, je volais dans les placards de mes colocataires. Tous les soirs, je m’arrêtais à l’épicerie du coin pour m’acheter des gâteaux. En pleine nuit je me levais pour manger des aliments à peine décongelés. Dans les magasins, il m’arrivait même de manger les choses que j’avais prises dans mon panier et qui n’étaient pas encore payées. Combien de fois j’ai reposé les aliments en rayon pour ensuite aller retourner les chercher. J’étais s’en cesse tiraillée. Faire les courses était un véritable supplice. Face à ces crises, j’avais trop peur de grossir, j’ai donc repris les vomissements que j’avais arrêtés depuis quelques temps.
C’est lors de la nouvelle année 2013 que je décidais de reprendre les choses en main, j’avais l’espoir qu’une solution à mon problème existait. Je lisais pas mal de bouquins sur le sujet, notamment sur l’hyperphagie, pathologie pour laquelle je semble avoir un certain nombre de symptômes. Je contactais également un psychologue spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire (TCA). Dès les premières minutes du rendez-vous, il me dit que mon problème ne se résoudra pas « d’un coup de baguette magique » mais qu’il existe un programme de rétablissement basé sur le programme des Alcooliques Anonymes et adapté à l’alimentation. Très vite je participe régulièrement à ces groupes d’échanges. C’est un lieu où je me sens bien, il y a beaucoup de témoignages qui me parlent, qui me touchent et surtout qui me donnent de l’espoir. Tous les gens sont accueillants. Pour la première fois je me sens comprise. Je ne me sens plus seule face à cette maladie, qui m’envahit l’esprit avec ces calculs de calories, qui m’empêche d’avoir une vie « normale », d’aller aux restaurants et qui me pousse à faire du sport à outrance.
Après cette année à l’étranger, je rentre chez moi, à Nantes, mais la condition de ce retour c’est de continuer ce programme de rétablissement. J’ai la chance d’avoir un groupe dans ma ville d’origine. J’y découvre un autre groupe certes moins nombreux qu’outre-manche, mais avec autant de chaleur. Très vite je sens que ma place est là, proche de ma famille, de mes amis d’enfance et surtout des membres de l’association.
Depuis septembre 2013, je reste assidue en réunion ce qui permet de conserver ma sobriété alimentaire. Depuis plus d’un an, je ne fais plus de crise, je me sens bien dans mon corps et je suis heureuse de vivre. Ce programme m’a sauvé la vie, m’a évité de revivre l’enfer avec la nourriture et continue de m’accompagner jour après jour dans mon rétablissement.
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