J’ai mangé pendant trois mois sans m’arrêter
L’association des Anorexiques Boulimiques Anonymes de Nantes tenait une convention régionale, à Nantes, ce week-end. Annie (1), 40 ans, raconte sa maladie et sa sobriété alimentaire nouvelle.
Témoignage
Je suis anorexique boulimique, et je souffle ma première bougie de sobriété alimentaire. Je suis vivante et émue (long silence). Enfant, j’étais gourmande. Dans ma famille, manger était toujours un moment de réjouissance. Avec une amie, on dépensait notre argent de poche en achetant des bonbons. Comme je gardais le sachet, je ne pouvais pas m’empêcher de le finir seule. On en rigolait sans honte.
« Une spirale de destruction massive »
C’est devenu plus compliqué quand, à 10-11 ans, j’ai plus grandi en largeur qu’en hauteur (sourires). Premières réflexions sur mon poids. Premiers régimes à l’adolescence. Ca marchait : quand je mangeais trop, je faisais un régime. Tout allait bien avec cette solution, je gérais. Du moins, je pensais gérer. Mais à force, le yoyo du poids montait de plus en plus haut et descendait de plus en plus bas. Ensuite, j’ai commencé à prendre des produits modifiant le comportement… (vive émotion). De la drogue, avant l’alcool. Je me défonçais ! Comme une stratégie de fuite, de compensation et d’évitement. Jusqu’à mon hospitalisation, à 16 ans. Pas consciente d’être dans une spirale de destruction massive, j’étais dans le déni. Oui, j’avais un problème de poids, mais je n’étais pas malade. Après trois semaines à l’hôpital, j’ai maigri. Pour moi, la solution restait les régimes, et je me servais de tout pour avancer. Les produits m’évitaient de parler de la nourriture. Je continuais à tomber.
« Ma boulimie est devenue anorexie »
(Annie passe des étapes) Un jour, par curiosité, j’ai poussé la porte d’un groupe de parole anonyme contre les addictions, puis d’un autre sur la nourriture. Ma place était là. J’avais identifié le vrai problème, mais par manque d’énergie, j’ai préféré me concentrer sur les dépendances aux drogues. Avec succès, j’ai stoppé la consommation. Pour la nourriture, il me fallait un accompagnement privilégié. Seule, c’était impossible. Après deux refus de parrainage dans le groupe, j’ai réussi à trouver une marraine. Je me suis accrochée, refusant de m’abandonner. Sauf qu’en mode régime et restriction permanente, ma boulimie est devenue anorexie. J’ai pris tous les excès dans l’autre sens. A la suite d’une rupture affective violente, j’ai recommencé à manger… sans m’arrêter pendant trois mois, sans dormir, sans vomir. J’ai tout gobé! Je ne travaillais plus. Je ne parlais plus, j’avais la bouche pleine (elle sourit).
« J’ai dit stop en voyant ma peau craquer »
A ma demande, je suis hospitalisée en psychiatrie. Deux mois. J’ai vidé mon compte en banque à la cafèt de la clinique. Mes troubles du comportement alimentaire n’y ont pas été soignés. Je refusais les médicaments, je pensais toujours réussir à gérer. Je n’avais pas mal au ventre. Mais quand j’ai vu ma peau craquer, j’ai dit stop. J’ai décidé d’arrêter de me faire du mal.
Je suis retournée dans un groupe d’anorexiques boulimiques anonymes. Grâce à ce cadre, j’ai pris conscience que le coeur de ma maladie, c’était l’affectif et l’amour. Que j’étais enfermée à l’intérieur et à l’extérieur. Que je devais guérir mes blessures relationnelles, faire le ménage dans mes pensées destructives. J’ai appris à me respecter, à m’aimer, à aimer les autres pour m’accueillir et me déployer. J’ai appris à vivre tout simplement. La nourriture, les drogues et autres addictions avaient tout bloqué.
« Je suis gourmande de la vie »
Aujourd’hui, à 40 ans, j’ai accepté la maladie et mes comportements dysfonctionnels, je commence à m’apprécier, je m’alimente correctement. Je ne me bats plus contre le nourriture. Fini le yoyo. Ma vie commence. Je suis en paix, et gourmande de la vie.
(1) Prénom d’emprunt
Comments are closed